Projet Aulnaies
Présentation
Historique
La Société Mycologique de France s'est doté, en 2002,
d'une "Commission Environnement", constituée de 9 membres, et dont la vocation est de faire le lien
entre les mycologues amateurs et les organismes, publics ou privés, concernés par la protection et
la gestion des milieux naturels, et la récolte ou la commercialisation des champignons.
La Commission Environnement, comme premier travail, s'est proposé de supporter un projet ambitieux :
entreprendre un inventaire mycologique des aulnaies françaises.
Ce projet (le "projet Aulnaies"), issu du travail de doctorat de P.-A. Moreau (lien possible)
consacré aux champignons des tourbières des Alpes, vise à proposer une typologie des aulnaies sur la base des champignons.
Pourquoi les aulnaies ?
Actuellement, de nombreux projets de recherche européens se concentrent sur les zones humides,
dont les surfaces régressent toujours davantage. L'intérêt des tourbières ouvertes, des marais
et des prairies humides est désormais bien décrit par les plantes et les vertébrés qui y habitent.
Mais les boisements humides, souvent pauvres en plantes remarquables et en animaux associés,
font figure de "parents pauvres" de la protection des zones humides. Non par malveillance,
mais simplement par défaut d'information. Or, ces boisements, et particulièrement les aulnaies,
sont particulièrement riches en champignons, qui leur sont strictement associés et
qui peuvent aider à mieux comprendre et à mieux décrire ces milieux.
Qu'attend-on des champignons ?
Les aulnes sont des arbres remarquables sur le plan fonctionnel : ils sont associés à des
bactéries (Actinomycètes) qui fixent l'azote atmosphérique, à l'instar des Fabacées ;
et ils sont associés à des champignons ectomycorhiziques, qui assurent leur nutrition
en phosphore et la protection physique et chimique des racines.
Les champignons associés aux aulnes représentent une cinquantaine d'espèces, la plupart
bien connues des mycologues et ne posant pas de problème majeur de détermination.
Leur présence ou leur absence dans certaines aulnaies reflète très certainement
des particularités fonctionnelles : certaines espèces semblent liées à des pH très bas,
d'autres à des taux de nitrates importants, quelques-unes paraissent envahir les aulnaies
dépérissantes alors que les autres en sont chassées.
L'idée soutenue par ce projet et d'utiliser les champignons comme descripteurs de milieux ,
à la fois sur le plan descriptif ("biodiversité" : le nombre d'espèces brut) et fonctionnel
("bioindicateurs" : la signification écologique de la présence ou de l'absence de telle espèce).
Pour cela, une cinquantaine de sites sont étudiés dans toute la France par des mycologues,
selon un protocole adapté aux inventaires myco-écologiques.
Quelle méthode d'étude ?
Le choix des sites a été effectué de manière opportuniste : les mycologues volontaires
pour collaborer au projet (49 équipes) ont chacun proposé le suivi d'un ou plusieurs
sites à proximité de leur domicile, afin que les contraintes de déplacement soient
limitées au maximum. Dans cet échantillonnage aléatoire, sont représentés la plupart
des types d'aulnaies décrits sur le territoire métropolitain, qui vont de l'aulnaie
pionnière sur tourbe ou sur sable à l'aulnaie-frênaie alluviale ou aux aulnaies
eutrophes en voie de dépérissement.
Sur chaque site, 1 à 3 placettes de 500 à 5000 m² ont été définies, qui seront visitées
mensuellement de juillet à novembre 2003, et de juin à novembre 2004.
Ces placettes sont "physionomiquement homogènes", correspondant à une surface
représentative du site et à un habitat défini. Tous les carpophores trouvés sur
ces placettes seront recensés, leur abondance notée.
Quelle analyse ?
Au cours de l'hiver 2004, les relevés seront compilés et analysés en comparaison
avec d'autres données écologiques relevées sur les parcelles : typologie du peuplement,
végétation, acidité, humidité, teneur en nitrates, altitude, zone biogéographique.
La répartition de chaque espèce sera comparée à ces paramètres. Ainsi, on pourra
mettre en évidence des préférences écologiques pour chacune d'entre elles.
Les espèces les plus caractérisées écologiquement (ou biogéographiquement)
seront proposées comme éléments descriptifs pour les types d'aulnaies correspondants.
Les espèces strictement associées aux aulnaies eutrophes seront à considérer comme
des signes de dégradation, présente ou à venir, des peuplements qui les abritent.
Au contraire, les sites abritant des espèces sensibles et liées à des aulnaies
dynamiques seront à considérer comme des réserves de diversité à suivre et à respecter.
Quelles conséquences sur la gestion ?
La protection des espèces n'a pas de sens sur le plan fonctionnel.
C'est la protection des milieux, et le maintien de l'équilibre fonctionnel, qu'il faut
comprendre à travers la désignation "espèce à protéger". C'est dans cette optique
que ce situe ce projet : utiliser les espèces comme reflet de l'intérêt biologique
de l'ensemble du peuplement.
Dans les aulnaies, les indices les plus visibles et les plus accessibles sont les
champignons (dans les roselières, ce sont les oiseaux, et dans les prairies humides
ce sont les plantes supérieures). C'est donc aux propriétaires et aux gestionnaires
des boisements humides que s'adresse cette étude, qui se propose de fournir un
diagnostic écologique sur des milieux par ailleurs mal connus et difficiles à évaluer.
La décision de gestion n'appartient pas aux mycologues. Mais l'inventaire mycologique
d'un site en comparaison des résultats de cette étude pourra fournir des éléments
décisionnels sur la pertinence, ou non, de préserver, d'entretenir ou de modifier
le site, sur le plan écologique.
Quels sites, et avec qui ?
Avec quel argent ?
Les sociétés naturalistes, telles que la Société Mycologique de France, sont les
derniers organismes à s'offrir le luxe de travailler "pour rien", car leurs membres
trouvent du plaisir à l'étude des champignons, et ce projet a reçu un écho immédiat
et enthousiaste auprès de nombreux mycologues amateurs. Pour l'instant, aucun
financement n'est assuré ; une demande de financement conjoint avec l'université
de Montpellier, et un financement complémentaire auprès de Nature et Découvertes
ont été sollicités, les dossiers sont en cours de traitement. Au mieux, la Société
Mycologique de France pourra rembourser les participants de leurs frais de
déplacements et conforter son fonctionnement interne.
C'est sans doute le prix à payer pour se faire connaître, les mycologues n'ayant
pas participé activement (à l'exception d'actions locales) à la gestion des milieux
naturels jusqu'à présent.
Par ce projet "pilote", qui recevra, nous l'espérons, un accueil enthousiaste de
la part des gestionnaires, nous espérons faire évoluer la mycologie dans le sens
des autres "sciences naturelles" : lui donner la place qu'elle mérite, auprès de la
botanique, de l'ornithologie, de l'entomologie et des autres, dans la connaissance,
la protection et la gestion de notre patrimoine naturel.
Et, au passage, faire sortir la mycologie d'amateurs d'une certaine tradition
nombriliste, qui consiste à s'amuser à reconnaître des espèces sans se préoccuper
de ce qui les entoure, et qui donne à notre discipline cette image un peu vieillotte
mais persistante de "sociétés savantes" autosatisfaites et coupées du monde réel.
P.A. Moreau